Céline à Meudon

Publié le par christophe bouquerel

Ma piétonne préférée et moi sommes partis nous promener à Meudon sur les traces de Céline. Elles sont très discrètes.
Lorsque Céline y débarque en 1951, il vient juste d’être gracié et de quitter son  frigidaire forcé au Danemark. Il cherche un endroit tranquille en banlieue parisienne pour se consacrer à l’écriture et finit par se fixer au 25 ter route des Gardes, à flanc de coteau,  à l’exact milieu entre le haut Meudon bourgeois et le Bas-Meudon prolétaire. Il y achète l’un des quatre pavillons cossus qui furent construits vers la fin du 19ième siècle et le transforme rapidement en un taudis légendaire. David Alliot, dans « Céline à Meudon » (publié chez Ramsay) présente beaucoup de photos et d’anecdotes divertissantes : Céline est mal accueilli par ses voisins, soit parce qu’ils sont assez cultivés pour connaître son œuvre mais le considèrent comme un « fasciste », soit parce qu’ils se demandent qui est ce soi-disant «docteur Destouches», qui descend lui-même ses poubelles habillé en clochard et qui, lorsque ses cinq danois se mettent à hurler, au lieu de les faire taire, aboie avec eux pour les exciter contre les passants ! Seules les petites filles du quartier s’amusent de ce drôle de bonhomme dont elles peuvent tout à loisir contempler l’anatomie la plus intime parce qu’il se balade souvent à poil sous sa vieille robe de chambre. Pendant que Lucette donne des cours de danse dans les étages du pavillon, le docteur Destouches, au rez de chaussée (il n’a pas fait aménager de cabinet mais doit quand même justifier sa plaque et sa future retraite), s'occupe parfois des pauvres, les seuls qui osent franchir la porte de cet étrange praticien. Il les soigne de façon très dévouée, surtout les enfants, avec lesquels l’aboyeur universel se montre d’une douceur à toute épreuve. Le docteur salingue les abreuve de  tirades hygiénistes mais ne les fait jamais payer. Reclus et ignoré, il l’est de moins en moins dans les dernières années, grâce à l’habile campagne de presse que mènent Gallimard et Nimier pour réhabiliter l’écrivain : il reçoit de plus en plus de journalistes, à qui il joue la comédie du clochard misanthrope, les accueuillant en compagnie de son perroquet pour débiner ses collègues et par éclairs analyser sa « petite musique ».



J'aime beaucoup cette photo. Je comprends en la regardant que tout cela, c’est du folklore. La principale, l’unique préoccupation de Céline à Meudon, c’est d’écrire. Ecrire jusqu’à l’épuisement et la mort, contre une maladie que les imbéciles prennent pour une pose et qui n’est que la consomption intérieure de l’artiste qui ose se livrer entièrement à son art. Ce dont est malade Céline, et contre quoi il refuse de se soigner, c’est son œuvre. D’où la dernière anecdote poignante : le 30 juin 61, il met le point final à « Rigodon », écrit aussitôt une lettre d’une écriture biscornue à Gallimard pour exiger un nouveau contrat et une augmentation (sinon, il menace de louer un tracteur et de venir défoncer la NRF!), puis s’allonge, taraudé par ce mal de crâne qui le déchire de plus en plus souvent. Sa dernière parole : « pas de piqûre, pas de médecin, pas d’hôpital. » Rien, qu’on le laisse crever. Et il crève le lendemain, 1er juillet, dans cet état d’épuisement que j’imagine néanmoins euphorique, parce qu’il a enfin achevé sa trilogie allemande et qu’il entend peut-être les castagnettes de sa danseuse donnant un dernier cours à l’étage au dessus. Ces derniers jours me touchent : je ne savais pas que, dans cette course de vitesse entre la maladie physique et la maladie d’écrire, le vieil antisémite rassis finissait par ressembler autant à Proust, le juif snob et raffiné le plus dissemblable de lui et pourtant le seul qui lui ressemblait vraiment. Deux frères ennemis réunis sur leur lit de mort ?
La route des Gardes n’a rien de célinien, rien de poétique, c’est une avenue goudronnée très en pente, bordée d’immeubles mochement actuels et qu’escaladent sans discontinuer d’agressives bagnoles. Mais dans cette montée vers la modernité banale soudain se décroche une ruelle pavée, qui nous conduit en quelques mètres de désuétude au laid milieu des années 60, comme un minuscule bras de passé croupi à côté  du fleuve présent.



Et là, surprise : au 25 ter, une boite aux lettres rouillée, sur laquelle est écrit au feutre noir, tout de traviole « Destouches ». Est-ce Lucette qui vit toujours là ? Leurs enfants ? Le pavillon un peu désuet, un peu abandonné, à la pelouse élimée, est assez célinien (bien que l'original ait flambé en 1968, je crois, une action de ces maoïstes que je fais habiter un peu plus bas dans "Ce n'est qu'un début"?). Nous osons à peine prendre une photo, pour ne pas déranger. Si Lucette vit toujours là, elle doit être sans cesse importunée par des admirateurs de l’écrivain? Non, après tout, rien de moins sûr.
Le petit cimetière des Longs Réages, où Céline repose à côté de l’honorable chef de la fanfare municipale, est déjà fermé.
Aucune plaque, aucune indication. Rien qui signale que l’un des plus géniaux et des plus odieux écrivains français, a vécu et est mort ici. Je sais que beaucoup d’universitaires du monde entier travaillent sur Céline, et que chaque année même une cérémonie du souvenir a lieu. Pourtant on a l’impression que Meudon fait silence sur lui, qu’il est encore le membre de la famille scandaleux sur lequel on préfère se taire.


Au moins deux écrivains géniaux sont rattachés  à Meudon : l’un, Rabelais, qui n’y a peut-être jamais vécu, est célébré, notamment par le nom d’un lycée. L’autre, qui y achevé son oeuvre avant d’y mourir, est passé sous silence. Toléré mais de façon honteuse. On admire depuis longtemps l’humaniste, on a fini par réhabiliter le farceur scatologique qui dégoûtait tant Voltaire : Rabelais (qui  fut à son époque encore plus scandaleux que l'autre) ne fait plus de vague. En revanche, on ne peut pas célébrer l’auteur du «Voyage » car il est aussi celui de «Bagatelles pour un massacre». Meudon le cache presque. Comme la France ? On imagine difficilement un lycée Céline, et d’ailleurs je n’aimerais pas y travailler.
Sur le site passionnant que Marc Laudelout consacre à l’écrivain, j’apprends que les pamphlets ne sont pas interdits de publication par le  ministère de l’intérieur qui ferait appliquer la loi contre l’incitation à la haine raciale, comme je le croyais, mais par la volonté de Lucette Destouches, qui entend jusqu’au bout rester fidèle aux volontés de l’écrivain (celui-ci ayant toujours interdit la republication des trois textes maudits). Pourtant, en 2011, les œuvres de Céline vont tomber dans le domaine public. Les pamphlets antisémites pourront-ils alors être republiés librement, sans la précaution d’une préface par exemple? Plutôt que de passer Céline sous silence, de façon vaguement honteuse, ne faudrait-il pas aborder de front même ces aspects-là de son œuvre (ce qui est possible, comme le prouve l’intéressante discussion sur le site mentionné)? Meudon pourrait assumer la présence sur son sol de l’écrivain, non pas pour le dédouaner de quoi que ce soit, mais pour comprendre comment un écrivain des années 30 a pu être amené, par sa psychologie individuelle, par son entourage familial et collectif, à produire « ça », c’est à dire aussi bien des romans fulgurants que des divagations racistes. La réflexion sur ce perturbant alliage n'est-elle pas encore vitale?


Le site sur Céline de Marc Laudelout : http://louisferdinandceline.free.fr/
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S
<br /> bravo pour cet article !<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Merci pour la visite.<br /> <br /> <br /> <br />