Ce n’est qu’un début

Ce n’est qu’un début commence et s’achève dans la nuit du 3 février 2009. Le héros va avoir son premier enfant et passe la soirée chez ses parents pour leur annoncer la nouvelle. Il les voit très peu, tellement ces anciens gauchistes exaspèrent le sous-directeur du ministère des Finances habitué des commissions européennes qu’il est devenu. La soirée, très arrosée, dégénère… Pomerol aidant, ce quadragénaire rassis se trouve embarqué dans une quête délirante, baladé, à tous les sens du terme, du Paris de Mai 68 à celui d’aujourd’hui, du quartier européen de Bruxelles à celui de Kreuzberg à Berlin. Sans oublier quelques autres hauts lieux qui n’existent même pas. Le récit revisite avec une jubilation narquoise les étapes obligées du roman 68, les manifs, les bagarres, les meetings, les soirées sous acide, les lendemains qui déchantent. Il mêle dans un désordre fécond le rêve de la génération précédente et la réalité contemporaine, le délire et la satire. Mais les différentes pistes qui s’entrecroisent – politique, familiale, amoureuse – tendent toutes vers une même direction : explorer avec fantaisie, frénésie, et peut-être un peu de profondeur, l’idée de filiation. C’est un roman sur l’énergie de 68 telle que peuvent la fantasmer ceux qui ne l’ont pas vécue et qui ont l’impression d’étouffer dans la France de 2009. Cette énergie folle qu’ont déployée nos parents pour mettre en question la politique, l’amour, la famille, la vie quotidienne, nous l’avons enviée, puis refusée, moquée, oubliée. Et nous avons eu bien raison. Mais aujourd’hui ne serait-il pas temps de s’en ré-emparer ? Pour en faire quoi ? A nous de voir. Après tout, ce n’est qu’un début…

C. B.


L'auteur

Christophe Bouquerel est né en 1962. Après Normale Sup et une agrégation de lettres classiques, il fonde une troupe de théâtre au lieu d’écrire sa thèse. Il enseigne aujourd’hui le français et le théâtre dans un lycée de la région parisienne. Il est l’auteur d’un premier roman : La Boîte à orages (Panama, 2007).


Le livre

Paris, février 2009. Cédant à l’insistance d’Eva, sa compagne, Ernesto-Léon, 40 ans tout rond, se résout à traverser la Seine pour aller dîner chez ses parents, dans l’appartement abhorré du boulevard Saint-Germain. C’est qu’Eva est enceinte de huit mois. Il est temps d’annoncer la nouvelle.
Ernesto-Léon se promet de ne pas se laisser entraîner par Jean-Marc et Marie-France (noms de code révolutionnaires Marco & Maria), ses ex-soixante-huitards de parents, dans une de leurs invariables disputes politiques, sport de salon dans lequel ils excellent, reliquat d’une jeunesse irriguée de grands idéaux gentiment sacrifiés sur l’autel du réalisme capitaliste. Toujours en pointe sur le discours bien-pensant de gauche, mais désormais plus bobo que gaucho, disons que du militantisme acharné de leurs vingt ans, ils ont gardé l’air en changeant les paroles : si Marie-France continue à visiter les prisons avec ferveur, Jean-Marc s’intéresse plus à sa prochaine voiture qu’à son prochain tout court. Un cynisme paradoxal qui a très tôt fait naître chez le petit Ernesto-Léon une révolte inversée (« Oui, j’ai une tare : bien qu’apolitique, je suis de droite. ») Malgré les bonnes résolutions, et le bon vin, la discussion vire au pugilat et aux révélations tardives (ou est-ce simplement la mauvaise foi du fils réactionnaire à l’œuvre quand on sait que toute son enfance il s’est entendu reprendre : “Pas papa, Jean-Marc !”) : il semble découvrir que son père n’est pas son père, il serait en effet le rejeton d’un ami du couple, figure contestataire évaporée dans les derniers feux de Mai, qui ne lui aura finalement laissé que ce double prénom difficile à porter dans les couloirs de l’Administration où il a trouvé refuge (devenir haut-fonctionnaire au ministère des finances : sa provocation à lui).
Au moment d’affronter à son tour la paternité voilà donc notre Ernesto-Léon qui perd – ou croit perdre – le fil de sa filiation. Il perd aussi connaissance (trop de Pomerol) et dans cet état second qui l’entraîne dans des limbes chargées et migraineuses, entreprend une aussi improbable qu’urgente quête des origines, à la recherche de son père.
Véritable épopée psychédélique, Ce n’est qu’un début propulse son antihéros sur les barricades du quartier latin aux premiers jours de Mai 68. Puisque c’est là que tout a commencé. Et tandis qu’Ernesto-Léon revisite aux côtés (voir dans la peau) de ceux qui deviendront ses parents, un Paris en liesse et en rage, tandis qu’il pose sur cette réalité un regard critique, informé, conditionné par celle de 2009, défilent joyeusement le folklore et les figures de l’époque, ses poncifs et ses slogans, mais aussi les rêves généreux et les désirs tenaces d’une génération qui a eu la force et l’énergie de changer le monde… ou, au moins, de le vouloir.
Et si tout ici – de la gueule de bois d’une génération au Voodoo Child de Hendrix – fait métaphore, de Paris à Berlin en passant par Strasbourg, des rues de Paris insurgé en 1968 aux friches industrielles réhabilitées en berceau post-chic de l’art contemporain contestataire berlinois, en passant par les couloirs moquettés de l’Union européenne, voici un roman familial et politique, un vrai roman d’aujourd’hui, qui nous offre des personnages aux contradictions si attachantes qu’il est impossible de ne pas les entendre, les accueillir, les suivre même, au moment de scruter notre monde en déroute, d’espérer quelque soubresaut, d’ausculter les corps inanimés et presque déjà froids de nos idéalismes ramollis.
Tenant avec virtuosité l’équilibre précaire entre passé et présent, réalité, réalisme et délire, investissant la conscience des uns et des autres avec un aplomb ahurissant, voyageant avec une facilité rare à travers le temps et l’espace, Christophe Bouquerel nous embarque dans une hilarante ballade sur les ailes des révolutions du XXe siècle (ou de ce qu’il en reste), dispensant au passage sa petite histoire des ultragauches européennes et s’autorisant quelques francs et audacieux morceaux d’anthologie inoubliables.
Moqueur, caustique, tendre, irrésistiblement drôle, sans nostalgie mais avec un appétit intact pour cette énergie vitale qui manque tant à nos désillusions contemporaines, Bouquerel « liquide » sans pitié et sans pincettes, de telle sorte que les yeux dans les yeux, il peut nous poser la question qui fâche : à force de cynisme et de “lucidité”, à force de hauteur et désabusement, à quoi renonçons-nous ?
Puisqu’après tout, toutes générations confondues, nous sommes tous des enfants de Mai 68 !

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