Musset avant Musset « Les marrons du feu »

Publié le par christophe bouquerel

 

Ce jeune homme à la mode est âgé exactement de deux siècles. On va beaucoup le jouer cette saison, subventions obligent. Mais j’attends avec impatience de voir la semaine prochaine « Les enfants du siècle », la mise en scène de « Fantasio » et « On ne badine pas avec l’amour » que vont proposer le Théâtre de la Tentative et Benoit Lambert. Cet artiste intelligent saura, j’en suis sûr, lui faire dire quelque chose, lui qui présente ce diptyque Musset comme le deuxième volet d’une enquête sur la jeunesse française commencée l’année précédente par un travail autour d’entretiens menés avec des jeunes d’aujourd’hui.

C’est la question. Ce dandy rebelle qui a exprimé le mal du siècle d’une jeunesse romantique d’avant le déluge a-t-il encore quelque chose à dire à celle d’aujourd’hui, dont on ne sait encore si elle est atone ou ardente, si en elle se décantent les révoltes de demain ou le désenchantement ?

 

http://www.amis-theatre-firmin-gemier.org/Images_43_Actualites_Printemps_2008/Photo-Rien_d_humain-H_Bellamy.jpgSur la proposition d’Emmanuel Fumeron (il me fait rire sur cette photo), le comédien qui va faire travailler mes élèves dans l’option théâtre du lycée, je suis parti dans une autre direction. Musset avant Musset, avant les chefs d’œuvre romantiques en prose, avant les « Comédies et proverbes », avant la rencontre avec Sand et l’entreprise systématique d’autodestruction qui le conduisit à survivre près de vingt cinq ans à sa propre jeunesse. Musset à moins de vingt ans peut-il parler aux moins de vingt ans ?

Je lis ses premières pièces. Et je suis surpris de leur diversité, de leur bizarrerie, de leur  ruptures de ton. Dommage peut-être que les metteurs en scène n’aillent pas plus souvent jeter un œil de ce côté-là. Un lyrisme poseur mais quelque peu frénétique qui, curieusement, me rappelle les débuts de Brecht. N’y a-t-il pas  quelque chose de Baal chez les premiers héros de Musset ?

 

Par exemple dans la toute première pièce, Les marrons du feu. Pas encore un « proverbe » mais une « comédie » furieuse et qui se termine mal. Il l’écrit en 1829 (il a 19 ans) et l’intègre à son premier recueil de poèmes, les « Contes d’Espagne et d’Italie » qui font grand bruit (il n’a jamais mis les pieds dans aucun de ces deux pays mais l’Italie saura bien se venger de cette désinvolture). «Mesdames et messieurs, c’est une comédie. » lance-t-il dans le premier vers de l’impertinent prologue, et « digne de Molière », puisque, ajoute-t-il,     «mon groom et ma portière

                   qui l’ont lue en entier, en ont été contents. »

Mais cette histoire de jalousie et de vengeance, qui lorgne du côté de Byron plutôt que de Molière, est une drôle de comédie !


L’intrigue se passe en 1761, dans une ville du bord de mer, en Italie, un jour de tempête. C’est l’histoire d’une femme amoureuse, une danseuse célèbre, la Camargo, qui a vraiment existé (mais elle aurait eu au moins 62 ans au moment où Musset situe la pièce, c’est pour dire à quel point ce jeune homme qui avait fréquenté les meilleures écoles se souciait d’exactitude historique). Et celle de deux hommes, l’un qu’elle aime et qui ne l’aime plus, Raphaël Garuccio, un libertin qui malgré son jeune âge se prend pour Don Juan en fin de carrière, et l’autre qui aimerait bien l’aimer mais qui est petit, laid et abbé. Pour comble de malchance, il s’appelle Annibal Desiderio !  Les deux hommes, avant de se battre en duel, boivent ensemble toute la nuit, au bout de laquelle Raphaël, complètement saoul, propose à Annibal d’échanger leurs costumes afin que l’abbé amoureux prenne sa place dans la chambre de la Camargo. Mais celle-ci, qui sait reconnaître son amant rien qu’au bruit de ses bottes, ne se laisse pas abuser et propose à l’abbé un marché = elle se donnera à lui s’il tue Raphaël ! Et puis elle demande à sa camériste = «penses-tu, toi, que pour une femme

                     C’est un malheur d’aimer - dans le fond de ton âme ?

Et l’autre lui répond du tac au tac = «Un malheur, quand on est riche ! »

Pièce caustique et passionnée dans une Italie de fantasme qui rappelle les Chroniques de Stendhal. A l’amour mortel de la Camargo s’oppose le cynisme jouisseur des deux hommes. Un naufrage, deux scènes de fiesta, un déguisement, des chansons et des danses, deux meurtres sur scène, et… une petite cruauté finale, pour que la pièce reste « morale ».

Morale, tu parles. A la violence du fond répond la violence de la forme. Des alexandrins mais très hachés, pleins d’exclamations et de rejets. Quelque chose de bavard, oui, peut-être (moins qu’Hugo), mais  d’ardent aussi. C’est plaisant à lire, malgré un ou deux tunnels.

http://www.richardberrylesite.com/Untitled-3.jpgSerait-ce plaisant à voir ? La pièce ne fut jamais jouée du vivant de l'auteur et l'est rarement aujourd'hui. On en trouve quelques traces sur le Net, notamment une mise en scène d'Huster en 74 avec Richard Berry jeune qui ne devait pas être un moche Raphaël.

De toute façon, en 1830, Musset s’en désintéresse vite. Pendant que ses petits camarades font la révolution, il écrit une autre pièce qui va être créée à l’Odéon et qui ne peut manquer de lui apporter la gloire et l’estime de tous, les romantiques ambitieux comme les ringards en place, et surtout les jolies femmes . Le succès en question s’appellera La nuit vénitienne

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