"Les chats persans", de Bahman Ghobadi

Publié le par christophe bouquerel

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Deux jeunes musiciens pop, un garçon et une fille, veulent quitter l’Iran et partir à Londres pour vivre librement leur amour de la musique. Pour cela, ils doivent former un groupe, organiser un concert, obtenir des visas. Aidé par un « imprésario » débrouillard, ils parcourent dans leur quête le Téhéran underground.

Un film tourné sans autorisation, en dix sept jours, et dont on ressent presque palpablement l’urgence, sans que lui soient sacrifiés l'humour ni le sens de la dérision.

La quête des deux musiciens et de leur imprésario tchatcheur n’est finalement pas qu’un prétexte. Les trois comédiens (Negar Shaghaghi, Ashkan Kooshanejad, et Hamed Behdad) sont attachants, et leurs aventures, dans le monde kafkaïen qu’ils traversent de leur énergie juvénile, à la fois loufoques et touchantes, parce que l’on sent que le drame est toujours possible (comme dans cette scène délirante où les deux tourtereaux sont arrêtés par la police parce qu’ils se promènent avec un chien, ce qui est « impur » !)  Ils croisent toute une galerie de jeunes musicos dont la plupart jouent leur propre rôle, et dont on imagine quels risques ils ont pris en acceptant d’être ainsi filmés.

Ce fil rouge permet au réalisateur de proposer un état des lieux de la musique underground iranienne et des ses différentes tendances. Les groupes sont obligés de répéter dans les lieux les plus improbables, des caves, des maisons abandonnées, des immeubles en construction, et même une étable à vaches, toujours à la merci d’un père trop prudent qui leur coupe l’électricité pour éviter les ennuis ou d’un voisin qui les dénonce à la police. Or, jouer de la musique, ici, c’est risquer la prison. Chaque morceau, quelle que soit sa qualité musicale, sonne pour le spectateur comme un gimmick urgent. Rarement le rock a paru aussi vital. Même la légèreté pop de certains arrangements, qui contraste avec la poétique noirceur des paroles, parait une victoire sur la pesanteur de la bêtise qui les entoure. J’entends encore aussi la litanie de ce rappeur : «Dieu, écoute, j’ai quelque chose à te dire, oui, je ne suis qu’une ordure», mais sûrement pas plus que ceux qui le lui répètent à longueur de journée. Sa colère n’est peut-être pas si différente de celle des «racailles» de nos cités ?  

Chaque groupe joue un morceau, que le réalisateur accompagne d’un montage-choc d’images de Téhéran. Clips à répétition ? D’accord, mais qui sont passionnants, parce qu’ils proposent des kaléidoscopes de cet Iran actuel si mal connu, visages et paysages multiples qui zèbrent l’écran de leurs contrastes.

J’ai été d’autant plus touché de voir ce film aujourd’hui qu’il résonne avec les images d’actualité, avec ces films amateurs que l’on peut voir sur «You tube» des récentes manifestations d’Achoura, prolongeant celles des élections de juin. Tous ces garçons et ces filles qui les traversent, qui quelquefois se prennent des balles dans la tête et meurent sous nos yeux, ici on les rencontre d’un peu plus près, et l’on se rend compte à quel point, dans leur énergie, dans leurs espoirs, dans leurs frustrations, ils ressemblent aux nôtres. Quelque chose d’universel se joue en ce moment à Téhéran. Merci à Bahman Ghobadi, à tous ses acteurs et à ses figurants, d’avoir pris des risques pour nous permettre de mieux comprendre qu’il s’agit d’un petit morceau de notre âme.

 

 


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