Le reflet de Sarah

Publié le par christophe bouquerel

 

Sarah aperçoit son reflet dans la vitre sombre du micro-onde.

Elle a repris sa vie comme si de rien n’était. Soulagée de n’avoir plus à s’occuper des formalités de l’enterrement, ni même (elle doit se l’avouer) à visiter son père dans cet endroit terrifiant qu’était l’hôpital. Ce matin, tout va bien : elle boit son café avec sa petite dernière qui gazouille. Ecoute vaguement à la radio  la voix d’une amie qu’elle a connue à l’école, une voix qui n’a pas changé et qui est restée étrangement celle de la jeune fille d’avant.

Et puis lentement, une pensée remonte à la surface. Elle a peur que la mort de son père ne l’ait vieillie d’ «un seul coup ». Quel coup ?  Celui unique de l’accablement. Dans le sillage de ce mot, l’ensemble de l’absurde idée prend forme : plus son esprit ressent de soulagement, plus son corps doit subir d’accablement. Dans la vitre du micro-onde, ses traits s’accusant la condamnent. La mort de son père l’aurait-elle fait basculer avec cinq ans d’avance du mauvais côté de la cinquantaine ?

Elle sait que ce qui commence, ce n’est pas une nouvelle semaine ni un nouveau mois. C’est la dernière période de sa vie. Y trouvera-t-elle encore du bonheur ?

Soudain, sans prévenir, le soleil apparaît. Le premier soleil du printemps : il fait pâlir le reflet du visage de Sarah sur la vitre sombre du micro-onde, jusqu’à le dissoudre complètement dans son élan diaphane.

Publié dans polaroïds

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