Le libraire ancien

Publié le par christophe bouquerel

 

 

 

 


Il est heureux parce qu’il vit au milieu des livres.

Il s’est peu à peu spécialisé dans les ouvrages anciens sur le spectacle vivant. Et s’est fixé depuis quelques années sur les hauteurs de Saint-Cloud où il a installé ses bureaux qui sont aussi sa maison.  Du haut de cette bulle de passé, il contemple la ville présente à ses pieds, jouissant de pouvoir n’y descendre que lorsque l’envie lui en prend. Le plus souvent ses clients montent jusqu’à lui. Mais il peut aussi traverser la France entière et même l’Europe à la recherche d’une édition rare.

Parfois des artistes célèbres, des comédiennes reconnues, lui demandent de leur trouver des titres introuvables, où elles ont l’intuition que les attendent les décors ou les images de leurs prochains spectacles. Pour elles, il cherche. Et il trouve. Il se sent alors un peu créateur. Il est curieux de pénétrer dans leurs appartements et dans les arcanes de leur imaginaire. A quarante ans, il est toujours aussi avide de rencontres humaines.

La nuit, à la lumière de sa lampe, ou de son écran d’ordinateur, il se demande pourquoi la plupart des bibliophiles sont des hommes. Plus il les fréquente, plus il est persuadé que les livres ne sont pas des objets comme les autres. Qu’y a-t-il comme secret spécifiquement masculin dans le désir de posséder les plus rares d’entre eux ? De les ouvrir et de les effeuilleter ? Lui aussi, il aime posséder, mais seulement pour un temps, et puis il éprouve un plaisir encore plus vif à remettre en circulation. Il arrange des rencontres sensuelles entre des hommes et des livres qui se méritent. Il est heureux de consacrer sa vie à cette énigme futile et essentielle.

Son seul regret est que son fils ne lise pas.

Publié dans polaroïds

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