L’arnaqueuse de l’amour

Publié le par christophe bouquerel

 

 

 

 

 

Mon vieil ami Stéphane, dont je pensais pourtant que rien venant de sa part ne pourrait plus m’étonner, m’a confié récemment l’un des plus étonnants exploits de sa carrière de séducteur.

Dimanche dernier, il est venu me demander de lui prêter trois mille euros. J’ai sorti de mon portefeuille les trente euros qui y restaient et lui ai déclaré qu’en fouillant dans les recoins de mon compte en banque et en supprimant le bouclier fiscal dans la tirelire de mes enfants, je pourrais peut-être vaillamment en réunir trois cents. Il m’a souri : « toi, t’es un vrai pote ! Garde tes trois cents, je vais me débrouiller autrement. » Evidemment je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander pour quelle nouvelle histoire de fou il avait besoin de trois mille euros. Et quand je dis «histoire de fou», évidemment je pensais « histoire de femme », car il faut bien reconnaître que le bougre ne pense qu’à ça depuis bientôt quarante cinq ans qu’il est sur terre. Je ne le connais que depuis 1981 mais je ne l’ai jamais entendu parler d’autre chose. Je ne sais même pas s’il connaît le nom de Sarkozy. Il doit être le seul Français à ne pas souffrir de cet hiver glacial tant il a le feu au c…

Donc, son dernier exploit amoureux : cette andouille venait de se faire arnaquer trois mille euros mais sur Internet et par une femme qu’il n’avait jamais vue ! C’était une jeune Ivoirienne, très belle paraît-il sur ses photos. Pour l’embêter, je lui ai dit qu’elles lui avaient peut-être été envoyées par un homme très gros et très laid mais j’ai compris qu’il était impossible de l’en persuader vraiment. Son vieux pervers, il l’avait surnommé Princesse Isabelle. Elle l’avait séduit en lui déclarant qu’elle ne souffrait pas du tout de la situation de quasi guerre civile décrite par les media français parce qu’elle n’était pas allée voter et qu’elle ne se sentait absolument pas « concernée à la politique » (la faute de français l’avait enchanté comme la preuve ultime qu’il venait de trouver son âme sœur). La seule chose qui intéressait Princesse Isabelle, c’était l’amour. Bien que Stéphane l’ait ramassée sur un site de rencontre, elle était pudique, presque farouche. Elle avait refusé absolument de lui envoyer d’autres photos que celles de son visage radieux. Mais aucune de son corps. Ni nue évidemment (même s’il avait osé à plusieurs reprises lui en formuler la demande sur un ton détaché, comminatoire ou suppliant, et parfois les trois en même temps) ni en maillot de bain, ni même en robe. Je n’ai pas bien saisi les détails de l’arnaque finale. En gros, elle avait réussi à lui échanger un virement de trois mille euros par Western Union contre la promesse de consacrer une partie de cette somme à acheter un aller simple pour Paris Roissy. Depuis qu’elle avait encaissé l’argent, évidemment,  elle ne donnait plus signe de vie.

Une fois son histoire achevée, j’ai regardé mon vieux Stéphane, complètement stupéfait. « Mais enfin comment tu as pu faire une chose pareille ? A ton âge ? Et avec... »  j’ai failli ajouter « avec tes antécédents ». Mais il a complété : « avec mon expérience ? Oui, je sais, c’est un peu étonnant. En fait, je me suis étonné moi-même. »

Dans le moment de silence qui a suivi, nous avons suivi chacun un courant de réflexions très différents car il a fini par ajouter : « Tu comprends, elle ne m’a pas séduit en me parlant de sexe, mais en me parlant d’amour. Elle m’a pris par surprise. Elle ne m’a pas mené par le bout de ma queue, ça j’ai l’habitude, je sais comment me dérober, mais par le bout de mon cœur. Pour ainsi dire en prenant mon cœur dans ses paumes. » Je transforme peut-être légèrement la formule mais l’idée était celle-là, et dans la bouche de Stéphane, elle sonnait encore plus bizarrement. « Tu comprends ?»

Je comprenais très vaguement : Dom Juan arnaqué sur Internet par dona Elvire. Et presque consentant. Presqu’heureux. Le sourire à la fois piteux et reconnaissant de Valmont entubé, je vous jure qu’il valait le coup d’oeil. « Trois mille euros (il me semble qu’il a dit trois mille eureus) pour quinze jours d’amour, virtuel d’accord, mais enfin sincère, d’amour vrai en quelque sorte, même s’il était faux, en tout cas il était vrai de ma part, tu crois que c’est trop cher payé ? »

Je n’ai pas su quoi lui répondre. Les quadragénaires, quand ils se font avoir, ne sont pas vraiment naïfs, ils sont autre chose, lucidement crédules ? Ou complètement timbrés ? C’est curieux à voir.

Nous avons bu quelques bières, c’était la chose la plus fraiche qu’il nous restait à faire. Surtout que le lendemain il devait aller voir son banquier pour se faire engueuler et remettre à sa place, c’est à dire presqu’aussi bas dans l’échelle sociale que dans l’échelle amoureuse.

Il n’a pas reparlé de sa Princesse Isabelle mais je crois qu’il ne pouvait s’empêcher d’y rêver encore. Il me semble que cet idiot n’avait pas tout à fait renoncé à l’idée qu’elle lui téléphonerait un jour de Roissy en lui demandant de venir la chercher, elle et les derniers billets de ses trois mille euros qu’elle lui aurait conservés fidèlement.  

 


Publié dans polaroïds

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