Un été à Hawaï

Publié le par christophe bouquerel






Il a
passé un été entier à Hawaï, sur l’une des plages les plus secrètes du paradis : elle était située pas très loin du métro de Malakoff.
Lola et lui étaient les deux seuls êtres vivants de moins de vingt ans à n’avoir pas fui la canicule au bord de la mer. Les deux seuls à être restés échoués là.  Alors il en parlaient. D’Hawaï. Où elle irait un jour. Dès qu’elle aurait assez d’argent. Un soir, il a écrit sur le banc du petit square, derrière son immeuble, en lettres aussi blanches que le sable dont elle lui parlait:    
                                              
                                                         « HAWAI »

Il lui a dit : « regarde, Lola, je suis un magicien, on y est, dans ton Hawaï. Ferme les yeux, raconte-moi ce que tu vois. » Elle a ri et ils ont passé une bonne partie de la nuit à se rafraîchir sous le cocotier qu’elle leur a imaginé, là-bas, sur la petite île en face, à la place du platane pelé.

Le lendemain soir, il a apporté un parasol, et deux verres avec des pailles, pour donner  à Lola l’envie d'attendre de nouveau avec lui la tombée de la nuit en lui racontant le paradis. Puis il leur a ramené une bouée, une noix de coco, un morceau de pédalo, un moteur de mobylette ou de hors-bord, un autre parasol pour décorer l’île du platane, et, pour éventer Lola, une longue branche de palmier qu'il avait volée sur un balcon au premier étage en manquant se casser la jambe. Elle jetait un coup d’œil sur sa trouvaille, un seul, et puis elle fermait les yeux et elle imaginait un nouveau délice de Hawaï. Ses recherches lui prenaient une bonne partie de la journée, à se trimballer sous le soleil pesant de Malakoff,  mais il ne se plaignait pas, parce que le réel était beaucoup moins inépuisable que l'imagination de Lola. Et, puis, quand elle avait bien rêvé, elle gardait les yeux fermés, et elle le laissait un peu la caresser. Il n'a jamais osé lui dire qu'il rêvait de l’accompagner, à Hawaï, au vrai Hawaï, quand elle irait. Elle était sûre qu’elle allait partir bientôt. Il ne lui manquait plus beaucoup d’argent. Sa prochaine paye ferait l’affaire. Il faisait semblant d’en être aussi sûr qu’elle.
Une nuit de la fin de l’été, c’est elle qui lui a demandé de fermer les yeux. Elle lui a soufflé qu’elle allait lui donner à imaginer une princesse des îles. Une princesse toute nue, avec ses seins pointus, sa bouche tendre, sa toison lustrée. Il n’a pas eu le droit d’ouvrir les yeux avant qu’elle se soit rajustée, et éclipsée dans la nuit. Il est resté encore un moment au paradis.
Le lendemain, elle était partie. A Hawaï, ça, il en est sûr.

Lui, il est resté, à la fin de l'été. Mais il ne s'est plus jamais assis sur ce banc. Il ne s’en est jamais beaucoup éloigné non plus, les étés et les hivers suivants. Il va du Bar des Sports à l’entrée du métro. Il l’attend. Un jour peut-être elle comprendra que la plus belle plage de Hawaï se trouvait dans un square de Malakoff ?

Publié dans polaroïds

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B
Hawaï!Que d'émotions contenues en un seul mot! Mais un banc à lui seul même porteur de rêves ne suffit souvent pas.Question de longueur d'ondes!Elle rêvait sans doute trop court !<br /> Merci du partage.A bientot
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C
<br /> Ou peut-être trop loin pour lui?<br /> A bientôt<br /> <br /> <br />
C
si ça se trouve elle est partie à Plougastel. Et là, c'est dur
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C
<br /> Oui, serveuse dans une créperie à Plougastel.  "A la crèpe hawaïenne". Il y viendrait si peu de clients qu'elle n'aurait pas encore réussi à économiser l'argent du retour. Pauvre Lola.<br /> Mais tant pis, il l'attend quand même, sur le banc de Malakoff. <br /> <br /> <br />