Voyageurs immobiles

Publié le par christophe bouquerel

 

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C’est la reprise (ou la re-création) d’un spectacle de Philippe Genty et de sa compagne, la danseuse Mary Underwood. Présenté pour une soirée, comme « Boliloc » il y a deux ans au Centre d’Art et de Culture de Meudon.


Le dossier qu’on peut trouver sur le site de la compagnie nous raconte l’étrange naissance de « Voyageur immobile ». Le spectacle serait né en 1995 d’un voyage ou d’un rêve dans le désert. Après plusieurs jours à rouler sans âme qui vive, à l’horizon, une minuscule silhouette plantée au milieu de la piste et qui était celle d’un enfant d’environ 7 ans aux grands yeux immobiles. On y évoque aussi la rencontre étrange avec un illuminé qui parcourait le monde à la recherche des rêves significatifs ; il était persuadé que les rêves semblables faits par les humains en divers points du monde pouvaient révéler, comme ceux d’un individu, notre âge collectif. D’après lui, psychiquement, l’humanité avait 7 ans! L’âge de raison, où l’on commence à sortir des superstitions de l’enfance pour s’ouvrir vraiment aux autres (à mon avis, elle n’a pas beaucoup fait de progrès depuis; je me demande même si nous ne grandissons pas à l’envers et si nous  ne sommes pas repassés sous la barre des six ans, l’âge qui réclame la satisfaction immédiate de tous ses caprices)!…

 

 

 

 


Donc, « Voyageurs immobiles » est un spectacle de chœur, qui ne nous parle pas de l’individu seul mais de l’humanité.

Ainsi il y a huit danseurs, quatre hommes et quatre femmes. Un groupe cosmopolite. Un Espagnol, une Italienne, des Français, une Japonaise. On entend leurs diverses langues et aussi des comptines dans celle universelle et mystérieuse de l’enfance.

Et puis il y a des matières. Au début du  carton. Et un grand voile sombre pour dire la tempête sur l’océan. Puis un cocon de sac plastique souple comme un nuage ou comme immense duvet d’où émerger et où replonger. Enfin de grandes rames de papier magique qui se tient tout droit. Du papier-terre que les personnages malaxent, dont ils sont malaxés. Dans lesquels ils s’enfoncent, s’enterrent, s’enlacent. Meurent. Dansent.

Il y a des images folles. Un radeau de carton marqué « fragile » jeté au milieu de la tempête, où les personnages se réveillent, (alors qu’ils se rappellent que quelques minutes à peine auparavant ils étaient tranquillement à rêvasser sur la plage) avec un corps en puzzle. Tant d’autres images. Elles reviennent en vrac. Inutile de les évoquer. Il faut les voir. Elles arrivent par séquences disjointes qui racontent à chaque spectateur une histoire de l’humain différente. Il suffit de se laisser porter.

Il y a des hommes en robe qui pondent des bébés à chaque pas et qui veulent les allaiter. Des femmes qui veulent découper le leur avec des couteaux. Des bébés en plastique, il y en a de toutes tailles, qui naissent du sol ou tombent du ciel en parachute. Il sont manufacturéduqués et passés par les adultes à la machine à aplatir.

Il y a une marionnette-golem qui se métamorphose sans cesse, d’abord déesse mère, puis chevalier en armure, et chevalier moderne en costume cravate. Qui tue son alter ego nu. Qui ne sait pas qui il est mais qui court. Qui ne sait pas où il court mais qui court.

 

 

 


Il y a des voix qui demandent dans toutes les langues « vos papiers. Ou « votre carte de piscine » pour nager dans l’océan de la vie ou du rêve. Il y a les cours de la Bourse et les cinq lettres du mot américain « money ». Et ces références à notre actualité résonnent de toute leur charge dérisoire.

Car on nous parle ici de quelque chose de beaucoup plus profond. On nous parle de naissance. De mort. Du couple. On nous parle de l’amour et de la mort avec du papier. Il  sert à envelopper les corps, n’en laissant que la gangue vide, qu’il faudra bien finir par piétiner. Mais ce piétinement deviendra une danse. Du papier que l’on découpe en morceaux de plus en plus petits pour les plaquer fiévreusement sur le corps de l’autre, pour l’en lier ou l’en souligner, le cacher ou le révéler. Moi, je l’ai interprété comme une métaphore du désir mais sûrement d’autres lui ont donné un sens différent.

Car ici on nous parle de l’essentiel mais moins par les mots que par les images et les matières.

Et c’est très clair.

Et c’est très beau.

 

 

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