Petites histoires de la folie ordinaire

Publié le par christophe bouquerel

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J’ai saisi au vol « Petites Histoires de la Folie Ordinaire » de Petr Zelenka, mises en scène par le collectif DRAO au studio Casanova, la 2ième petite salle du Théâtre des Quartiers d’Ivry. Spectacle que j’avais manqué lors de sa création il y a quelques mois.

J’aime beaucoup le DRAO. Je les ai découverts avec leur premier spectacle, « Dernier Remords Avant l’Oubli », dont l’humour, l’énergie, la justesse mise à servir la musicalité du texte m’avaient emballé. Ensuite, j’ai eu la chance de voir Fatima Souahlia-Manet intervenir dans l’option de théâtre dont je m’occupe, pour faire travailler à mes lycéens « Peanuts » de Fausto Paravidino, et j’avais été convaincu par son écoute des propositions de ces jeunes comédiens novices. 

DRAO m’intéresse aussi à cause de leur étrange mode de fonctionnement. Un collectif formé de 7 comédiens qui se sont rencontrés à l’occasion d’un stage (sur « Derniers Remords Avant l’Oubli », d’où leur nom) et qui, depuis, choisissent les textes et élaborent leurs mises en scène ensemble, sans metteur en scène attitré. Or, ce qui est frappant, quand on voit leurs spectacles, c’est l’unité artistique qui s’en dégage. Je me demande  toujours comment ces sept personnalités parviennent à aller dans la même direction. Je crois aussi que chacun prend en charge une part de la promotion et de la production. Cette idée de « collectif » me paraît être l'une réponse que peut fournir le théâtre contemporain à ce manque taraudant l’ensemble de nos sociétés.

Une façon pas très française de travailler = comme un collectif d’artistes berlinois ?

Pas de metteur en scène qui dispose  seul de la vision, pas de comédiens recrutés pour leur capacité à incarner avec malléabilité cette vision personnelle d’un créateur unique, à qui ils prêtent leurs corps et leurs voix, pratique qui peut d’ailleurs donner de très beaux résultats (comme «La duchesse de Malfi» que j’ai beaucoup aimé cet hiver).

Autre raison d’aimer DRAO. Ils me permettent de découvrir des auteurs très contemporains qui tentent chacun à sa façon de dire la déréliction de l’Europe d’aujourd’hui. Après Lagarce, ce fut « Push up »  de l’autrichien Roland Schimmelpfennig, peinture au vitriol des frustrations générées par le monde de l’entreprise. Puis « Nature morte dans un fossé » de l’italien Paravidino, vision brute de la société et de la famille, flirtant avec le polar et avec la tragédie grecque. De ces spectacles, j’ai gardé le souvenir d’ambiances métalliques pour l’un, de lumière noire pour l’autre, de quelque chose de fiévreux et d’actuel.

Aujourd’hui, c’est Petr Zelenka, dont je n’avais jamais entendu parler avant ce spectacle. « Petites histoires de la folie ordinaire » est la première pièce, écrite en 2001, de ce cinéaste tchèque. Elle raconte l’histoire de Petr, un jeune homme de trente cinq ans qui se réveille un matin avec la gueule de bois et des cheveux de femme dans sa poche.  A qui sont-ils? Ce trentenaire adolescent a du mal à devenir adulte mais il découvre que tous ceux qui l’entourent sont exactement comme lui. Ses parents, son meilleur ami, ses voisins, son ex. Tous aussi barrés que lui. La pièce décrit de façon drolatique et désespérée l’imaginaire intime d’une société tchèque d’après le communisme, à laquelle l’individualisme démocratique ne semble pas vraiment avoir fourni un nouvel idéal. Comme tout se délite, la folie, le pétage de plombs, semble le seul moyen de répondre non à la pression mais à l’absence de pression sociale. Une sorte d’insoutenable légèreté de l’être (même si Zélenka dit détester Kundera) où ne reste plus que la difficulté à vivre ensemble, entre hommes et femmes, entre parents mal vieillis et enfants mal mûris.

Et le pire, c’est que c’est drôle.

La loufoquerie, la fantaisie onirique, l’humour noir,  rendent la détresse encore plus poignantes. La mise en scène exprime bien cette double dimension de l’absurde. Très praguois, me semble-t-il.

 

 

 


Comme toujours chez DRAO, le spectacle est très bien réglé. Le dispositif scénique est ingénieux, une sorte de « tournette » délimitant un espace  circulaire, et d’où tombent des voiles que l’on peut ouvrir ou fermer pour montrer l’intérieur d’un appartement. Les changements de décor se font sur une musique étrange, qui traduit bien le trouble des personnages. L’interprétation est excellente. Elle met bien en valeur le côté dingue des personnages, leur côté un peu marionnette, mais aussi leurs failles émouvantes.

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