Le rêve de Laura ou les 16 000 postes en moins des 17 000 postes en plus

Il y a quelques jours, le professeur Normal avait pu se délecter de cette magnifique campagne de pub de l'Education Nationale : 

Ce qu'il avait trouvé d'emblée amusant, c'était la contradiction entre l'image et le texte. Deux clichés qui s'entrechoquent, ça fait des étincelles de platitude. D'un côté, une jeune femme très cool en train de lire un recueil de nouvelles dans une solitude apaisante, c'est les vacances perpétuelles, le week-end jusqu'à la retraite, et de l'autre des phrases convenues du genre : "l'avenir pour elle, c'est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves." Ah bon, elle "partage" et elle "transmet" avec qui, sur cette photo, Laura, avec elle-même? Peut-être cette image d'un farniente solitaire est-elle révélatrice de la conception que l'on se fait en haut lieu du métier de prof? Quant à "se concentrer à la réussite de chacun de ses élèves", après l'année qu'il vient de passer avec ses 36 secondes Z du lycée Séguéla, hum, le professeur Normal, ça le met presqu'en colère!... 

Et aujourd'hui, il lit dans "Mediapart" l'article d'Aurélien Duval :

"C'est acquis. Le gouvernement reconduira en 2012 la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux dans l'Education nationale. Il devra trouver 16.000 nouveaux postes à supprimer. Sur le papier, l'équation paraît simple. Mais alors que se profile l'élection présidentielle, le gouvernement a promis de ne pas fermer de classes à la rentrée 2012 et se retrouve piégé par sa logique budgétaire, au point qu'elle devient parfaitement illisible. "

Ah bon? On paye plusieurs millions d'euros une campagne de pub pour dire qu'on recrute 17 000 personnes mais le but final, c'est encore une fois de supprimer 16 000 postes? Ben oui. Le chiffre manquant, c'est 33 000 (départs à la retraite). Si vraiment le but, c'est que Laura puisse "se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves", s'agit-il de la meilleure solution? Ben oui. C'est la meilleure et la seule solution :

"Pour des raisons aussi politiques qu'économiques, difficile d'échapper à la règle du «1 sur 2», explique-t-on à l'Elysée. Si la France ralentit son effort de diminution de la dépense publique, elle risque en effet de perdre la note triple A que lui attribuent les agences de notation. "

Ah, la fameuse note triple A de ces fameuses agences de notation! Tout s'explique!

Le problème, c'est qu'il faut arriver à flatter à la fois les agences de notation et l'opinion publique (oui, parce que les élections approchent.). D'où Laura en plein "poste de ses rêves", bouquinant tranquilos pommes chips. Il faut dire que monsieur pub a dû mettre le paquet pour persuader les gogos. Aurélien Duval nous apprend en effet que des Laura qui rêvent de trouver ce genre de poste de leur rêve, curieusement, il y en a de moins en moins: 

"Cette campagne vise aussi à redorer le blason de la profession: le nombre de candidats aux concours est en baisse. 12% des inscrits en licence forment aujourd'hui le projet de devenir enseignants, soit une baisse de 11 points par rapport à 2005. Le recrutement au niveau master, les difficultés croissantes d'exercice du métier dans un contexte budgétaire restreint et la faible attractivité des salaires enseignants peuvent en partie expliquer cette désaffection."

Oui, monsieur Normal accorde un triple A à cette pub! Elle est tellement cliché qu'il n'est même pas besoin de lire l'article qui la dément pour qu'elle agace. Ou révolte. Tout, dans le texte, dans l'illustration, dans les présupposés de ceux qui l'ont produite, tout respire le mensonge! "Triple A pour Laura, triple A! s'égosille-t-il tout seul dans sa cuisine. Et triple U pour ceux qui l'ont conçue, triple coup de pied au cul!"