L'Eden Cinéma

Publié le par christophe bouquerel

 

 

Retrouvailles avec Jeanne Champagne, toujours aussi drôle et accueillante.

 

L'Eden Cinéma est l'adaptation que Duras elle-même écrivit du Barrage contre le Pacifique en 1977, presque trente ans après. Texte théâtral limite, dans lequel les personnages racontent l'histoire plus qu'ils ne la jouent, et où elle n'hésite pas à juxtaposer des monologues. On y retrouve la musique lancinante de Duras, la quintessence des situations du roman, mais peut-être pas cette violence du rapport d'amour et de haine qui lie la fille à sa mère, cette crudité aussi et cette sauvagerie tranquille des sensations qu'elle éprouve face aux corps des hommes, face à la forêt ou au fleuve, face à la ville coloniale, qui m'ont tant frappé dans le roman. Ce que Jeanne Champagne met en valeur, pour échapper au pathos, c'est la joie, l'humour ravagé, de cette étrange famille : la fille et le fils sur le point de s'en aller et qui ne sont retenus peut-être que par l'amour incestueux qui les lie, la mère massive, et, en guise de fantôme de père, le vieux serviteur indigène et muet.

 

 

 

 

Belle scénographie de Gérard Didier qui évoque d'un côté l'écran d'une salle de cinéma, de l'autre les pontons d'un rivage dont nous serions nous-mêmes l'océan Pacifique. Je revois cette umière jaune et vive dont on ne sait si elle est celle de la fin délétère d'un soir d'été, celle du matin d'une nouvelle vie, ou peut-être les deux.

 

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(photo trouvée sur publikart.net)

 

http://www.nanterre-amandiers.com/thumbnail/fit/190x/uploads/play/extras_977.jpgL'interprétation marquante d'Agathe Molière. Sa ressemblance physique avec Duras jeune est troublante. http://lyc-george-sand-la-chatre.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/sites/lyc-george-sand-la-chatre/IMG/jpg/duras2.jpgPour des gens qui, comme moi, ont découvert Duras sous la forme de la vache sacrée prophétique des années 80, c'est une jolie surprise de découvrir la jeune fille drôle, fragile, émouvante, vive, qu'elle a aussi dû être et que nous rend si présente l'actrice. Comme un petit morceau de vie d'avant le mythe. Beau contraste aussi avec la mère massive, puissante, silencieuse (Tania Torrens).

 

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Un monsieur Jo séduisant, alors que dans le roman il est riche mais laid, présenté d'emblée comme désespérément incapable de susciter le désir de Suzanne, et trouvant dans la frustration du sien de quoi s'exhausser un peu au dessus de lui-même jusqu'à ce qui pourrait ressembler à de l'amour. Ici, il n'est, plus banalement, qu'un Valentino, qu'un fantasme, qui finit à peine décoiffé par l'impertinence de sa presque partenaire, mais pourquoi pas? L'Eden Cinéma, c'est aussi celui que se fait l'adolescente...

 

Des moments d'attente, où rien ne se passe, parce que c'est une pièce sur l'attente. Le spectateur a le temps de les remplir de ses propres attentes.


Et puis les accents furieux de la dernière lettre de la mère aux agents du cadastre. Là, mes élèves, achevés par les monologues, ont décroché. Et pourtant elle est très forte, cette lettre envoyée par l'ancienne institutrice aux agents corrompus qui l'ont sciemment ruinée. Elle qui était chargée d'inculquer aux indigènes les bienfaits de la civilisation française, la voilà qui règle ses comptes en enseignant désormais aux paysans dont elle partage la misère la haine de l'administration coloniale. Préparant à son échelle le terrain pour l'irrésistible marée de la guerre d'indépendance. Ouvrant aussi à sa fille le chemin de ses révoltes futures. Echo actuel? Mes élèves en tout cas ne l'ont pas perçu.

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