Katalin Varga

Publié le par christophe bouquerel





Quand ma cinéphile préférée m’entraîne voir un film parce qu’elle « sait » qu’il va être bien, je sais, moi, que je dois l’écouter. Je ne serai pas déçu, même s’il s’agit de la première œuvre d’un réalisateur anglais inconnu tourné au fin fond des Carpates avec des acteurs hongrois. Le résultat de cet improbable mélange est un film d’une sombre et limpide puissance, qui m’a scotché de bout en bout et dont j’ai encore des images dans la tête.



Pas ici de raffinement dans l’écriture du scénario, dans l’entrecroisement des intrigues, dans le brillant des dialogues : une histoire linéaire, toute entière située dans un univers primitif, celui des montagnes et des villages de Transylvanie. Une jeune femme est  chassée par son mari parce que le village la considère comme une traînée ; elle part sur une charrette avec son enfant, un garçon que le mari traite de « bâtard ». On découvre vite qu’elle a été victime d’un viol une dizaine d’années auparavant et qu’elle s’est mise en tête de retrouver ses deux bourreaux. Scénario a priori peu engageant. Mais, première beauté, sa quête de vengeance l’amène de plus en plus loin vers les forêts des confins de la Hongrie, et l'on a presque l’impression qu’elle revient dans ce périple aux origines du temps et de l’espace, dans des montagnes peuplées seulement de bergers et de paysans comme on aurait pu en trouver au Moyen-Age, même si l’on trouve ça et là des signes de modernité (ses poursuivants roulent en voiture et elle peut se servir d’un téléphone portable).
Elle traque et elle est traquée : le film devient un conte. Mais, deuxième beauté, ce conte reste noir et déroutant. D’abord parce que l’on découvrira que la figure du méchant est plus complexe que ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Ensuite parce que l’on nous refuse jusqu’au bout la possibilité d’une rédemption. La fin est brutale. A la fois inattendue et inexorable.
Ce qui fait la puissance saisissante de cette oeuvre, ce n’est pas simplement l’histoire, mais la manière de la filmer. Ce Peter Strickland, qui tourne là son premier long métrage (qu’il n’a pu financer, dit la légende, qu’à cause d’un héritage providentiel et largement insuffisant) est un vrai cinéaste, un styliste. Dans sa façon de s’approcher des corps et des visages pour donner à ressentir les sentiments qui agitent ses personnages silencieux. Dans sa façon aussi de se reculer pour prendre en compte l’espace, la nature sauvage qui donne une dimension presque panthéiste à la quête de la jeune femme. Sa façon de rendre étrange les bois, dans lesquels s’est noué et va se renouer le drame, par des plans un peu trop lents et par l’utilisation obsédante des sons et de la musique.




Et son propos est sublimé par la qualité de l’interprétation, notamment celle de Hilda Peter, la comédienne de théâtre jusque là inconnue, qui joue Katalin. Ses cheveux noués sous un foulard, je l’ai prise d’abord pour une victime. Mais j’ai vite découvert que c’était une victime pleine d’une sourde vitalité, dans son envie de se venger et surtout de se faire entendre. D’une sensualité farouche aussi, quand elle dénoue ses cheveux pour prendre les hommes au piège. De tendresse, quand elle regarde son fils dormir. D’ambivalence dans son lien à la nature (qui sont ces petites filles qui s’enfuient dans la forêt à son approche ?) et dans son lien aux hommes. De liberté quand il faut enfin parler, tuer, mourir. Un personnage féminin fort et une belle actrice. Les autres comédiens sont au diapason, notamment Tibor Palffy, qui joue Antal, le violeur. 

J’ai été particulièrement frappé par deux scènes extraordinaires et très différentes: celle du bal du village, où la caméra rend le vertige de la sensualité que Katalin va cette fois savoir utiliser au lieu d’en être la victime, et puis celle du récit du viol, magnifique séquence en barque où la caméra tourne autour des deux personnages principaux (laissant le troisième, capital, hors-champ), moment où Katalin peut enfin dire sa vérité, où le dialogue s’épanouit et devient poétique. 
Un grand film, justement récompensé par un Ours d’Argent à Berlin. Mais a-t-il eu la distribution et le succès public qu’il méritait ? Il ne passe plus que dans une salle à Paris. Ce serait dommage de manquer cet aérolithe anglo-transylvanien. S’il passe encore dans votre ville, ou si vous vous trouvez samedi prochain sur le coup de 22h15 près du Reflet Médicis, rue Champollion à Paris, n’hésitez pas. Lucky Luke ou le Petit Nicolas vous attendront bien une semaine de plus…
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Commenter cet article
L
<br /> J'irai voir ce film (merci de m'en donner l'idée), mais du coup je m'abstiens pour le moment de lire ce post. La dernière fois, j'ai lu ton article sur The Reader, et je savais toute l'histoire<br /> avant même d'avoir vu le film ! ;o)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Tu as raison, il faut que je fasse plus attention! D'autant plus que je n'aime pas moi-même quand on me raconte toute l'histoire <br /> <br /> <br />