Gérôme ou le retour du pompier

Publié le par christophe bouquerel

 

Ulysse s’est régalé à l’exposition « Gérôme »  au musée d’Orsay. L’accrochage et les commentaires lui ont paru particulièrement intéressants. IIs réhabilitent ce peintre pompier, méprisé pendant longtemps pour s’être opposé aux impressionnistes, mais gardent une très juste et très pertinente distance critique, sans jamais tomber dans l’hagiographie. Ils mettent donc particulièrement bien en valeur la modernité paradoxale de ce peintre tout en éclairant ses limites. Vraiment du bon travail !


http://ingenieurdusymbolique.fr/wp-content/uploads/2010/12/Jean-Leon_Gerome_001.jpgCe qui intéressait surtout Ulysse, au départ, dans sa recherche actuelle, c’est évidemment le fait que Gérôme, chef de file de l’éphémère courant « néo-grec » se soit autant passionné pour la Grèce antique et pour l’Orient. Il y cherchait quelque chose de brutal, de sauvage, d’érotique, propre à appeler fortement à l’imaginaire de ses spectateurs. Mais sa limite est de ne pas se servir de ce décalage temporel pour bousculer les codes de représentation, par exemple dans la représentation de la nudité féminine ou masculine. http://4.bp.blogspot.com/_A8XgY7cWYaI/SSQ2o_uukkI/AAAAAAAABAQ/FDrVL1egyqE/s400/Gerome-Daphnis+et+Chloe-brest.jpgAinsi, le sexe n’est jamais montré. Gérôme trouve des artifices, parfois humoristiques, comme le bouquet de fleurs qui cache opportunément celui de Daphnis. Ou la simple négation, comme cette « Corinthe » de marbre polychrome, qui cherche l’illusion de la réalité, qui se tient grandeur nature et jambes décroisées devant le spectateur mais dont le sexe , même lorsque l'on se penche, est absent.

 

http://3.bp.blogspot.com/_DtsajQefh2s/SGXNk3kQNmI/AAAAAAAAN80/1lDsL3ukGd4/s400/Jean-L%C3%A9on+Gerome,+Corinthe+1903-04,+pl%C3%A2tre+polychrome,+cire+color%C3%A9e+et+fil+m%C3%A9tallique,+mus%C3%A9e+d%27Orsay.jpg

 

Un érotisme de la chair et de l’absence de sexe.


http://2.bp.blogspot.com/_DFGcpENR3xw/S_t_l28V95I/AAAAAAAACD4/hwiSx65Azus/s1600/phryn%C3%A9:G%C3%A9r%C3%B4me.jpg

 

Sa vision du fameux dévoilement de Phryné devant ses juges reste ainsi aussi énergique que convenue. Ce que notent d’emblée un Zola ou un Degas. Pauvre Phrynè ! On ne peut pas dire que Gérôme ait compris grand chose à ce mythe… Il reste un académique, parce qu’il ne se sert pas de son fantasme  de la Grèce ou de l’Orient pour faire éclater les cadres de la représentation érotique. Quant on pense à ce qu’un Manet ou un Courbet faisaient à la même époque. Gérôme satisfait son spectateur, il ne le bouscule pas. Il ne s’explore pas dans son rêve de l’Orient. Il reste dans les limites rassurantes d’une représentation convenue.

 

Mais à l’intérieur de ce territoire balisé, quel travail de peintre ! Ou plutôt de dessinateur, de créateur d’image. Gérôme réduit l’histoire à une anecdote mais sait l’exprimer dans une composition forte, qui s’appuie sur les contrastes. Par exemple "l’Eminence Grise".


 

http://wso.williams.edu/~crifelj/Old_Pages/artimages/GeromeEminence.jpg

 

 

 

Pour représenter un événement historique, il choisit souvent « le moment d’après », le cadavre de César étendu sous une statue, tandis que les conjurés s’exaltent au loin et qu’un sénateur bedonnant continue à ronfler sur sa chaise. Ou cette très étonnante Crucifixion., "Consumatum est". Sujet rebattu s’il en est mais qu’il arrive à renouveler par une idée géniale.


http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0d/Jean-L%C3%A9on_G%C3%A9r%C3%B4me_Consummatum_est.jpg

 

Mais évidemment, cette idée géniale, que nous dit-elle de profond sur la Passion ? Peut-être pas grand chose. N’est-ce pas la limite de ce sens de la composition du cadre ? Si Gérôme montre si bien, c’est aussi parce qu’il n’a pas grand chose à dire, de vraiment humain.

 

L’exposition éclaire très bien les dessous de sa recherche obsessionnelle de documentation. Il voyage beaucoup en Orient, se documente énormément sur l’Antiquité. Il s’inspire de photographies. Il y a donc un aspect apparemment documentaire dans ses toiles, qui a pu faire illusion à ses spectateurs de l’époque. Mais en fait le peintre s’octroie sans le dire la liberté de mêler plusieurs photographies qui n’ont rien à voir (ainsi ce qu’il présente à ses spectateurs comme une maison du Caire a été représentée avec beaucoup de précision…  d’après une photo du Yémen où il n’a jamais mis les pieds !) Gérôme fait délibérément des « collages » pour truquer la réalité et la rendre plus vraie que nature. Et ça, cette tricherie-là, cette liberté-là, Ulysse adore !


L’exposition met aussi en valeur le rapport très complexe de ce peintre à la photographie. Il ne s’agit pas seulement de gagner de l’argent en multipliant la diffusion de ses toiles par les reproduction photographiques de la maison Goupil, non, il y a un jeu de miroir beaucoup plus étrange qui s’opère. Par exemple dans les scènes d’atelier.

 

http://boulevarddu19e.files.wordpress.com/2010/11/working_in_marble_gerome.jpg

 

Gérôme adore se faire photographier en train de sculpter, en présence de son modèle dénudé, Emma, mais cette même scène, il en fera un tableau, comme si la peinture rivalisait avec la photographie dans la représentation mimétique du moment de la création.  

 

 

http://sandstead.com/images/metropolitan/GEROME_Pygmalion_and_Galatea_ca_1890_.jpgPas étonnant qu’il ait été autant fasciné par le mythe de Pygmalion et de Galatée (sur cette toile, Galatée s'éveille à la vie, seules ses jambes restent encore figées dans le marbre blanc,  tandis que le reste de son corps est déjà vivant et Ulysse aime beaucoup le détail de ses petites fesses rosissantes). Le mythe personnel. de cet artiste illusionniste. Plus qu’un thème, une hantise. Le rêve de passer de la mimésis de la vie à la vie elle-même. D’où ses recherches sur la polychromie. Il tente de retrouver les secrets des sculpteurs grecs, dont on sait que les statues étaient enduites d’un vernis qui donnait l’illusion de la peau, dont les yeux, la bouche, la pointe des seins étaient peints. Plus il vieillit, plus ses statues se rapprochent de la taille humaine, grandeur nature. Presque touchant de voir ce peintre reconnu changer d’art et se mettre à la sculpture pour se confronter d’encore plus près au mythe de Pygmalion. C’est dans cet effort désespéré, cette vertigineuse mise en abyme, que Gérôme paraît à Ulysse dépasser l’académisme, devenir enfin un peu fou et émouvant. Peut-être ce rapport mythique à la représentation du réel permet-il de mieux comprendre sa haine pour les recherches impressionnistes? Ne leur reprochait-il pas quelque chose de plus profond que de ne pas savoir dessiner ? Quelque chose comme la lâcheté de ne pas se confronter comme lui et comme tous les artistes avant lui à l’illusion du réel ? A ce qui était pour lui plus qu’une technique, une chimère, un désespoir? Dans cette obsession maniaque de la documentation, dans ces coups de sang invraisemblables contre les peintres modernes, Ulysse entend comme un écho assourdi de la folie de Frenhofer, le peintre génial mais impuissant du « Chef d’œuvre inconnu » de Balzac.


http://www.napoleontrois.fr/dotclear/public/Habillage/.Gerome_m.jpgLes dernières salles sont amusantes et font saisir l’une des modernités de ce ringard dépassé déjà de son vivant,  c’est à dire son influence sur le cinéma, notamment le péplum. Depuis l’origine, des réalisateurs lui piquent des plans.

 


 


http://www.ecognoscente.com/images110/orientalism_gerome_serpent_charmer.jpg

 

 

 

 

Ce qui a frappé aussi Ulysse, c’est la façon dont Gérôme devient peu à peu un coloriste. Au début de sa carrière, sa palette est terne, froide, presque mièvre. Et puis l’Orient qu’il visite et qu’il réinvente d’après photographie finit par réveiller son œil. Plus il vieillit, mieux il voit les couleurs.

 

 

 

 

 

 


http://1.bp.blogspot.com/_DtsajQefh2s/SZGZWsdPifI/AAAAAAAAWP0/BMS01py-XO4/s400/Ger%C3%B4me,+T%C3%AAte+de+femme+coiff%C3%A9e+de+cornes+de+b%C3%A9lier,+dite+La+Bacchante+,+mba+Nantes.jpgBeaucoup de ses toiles nous racontent une histoire mais peu, finalement, nous font rêver. Pourtant, de temps en temps, ce peintre aux compositions trop parlantes atteint au silence et au mystère. Par exemple dans cette étonnante Bacchante à cornes de bélier, que sa disgrâce rend si gracieusement mélancolique.

 

 

 

 

 

 

Ou ce « Barde Noir », dont le regard hypnotique et la peau sombre sont mis en valeur par sa djellaba rose.

 

 

http://www.whatpossessedme.com/.a/6a0111688f7c55970c0115708248a2970b-500wi                          (reproduction trouvée sur un superbe blog what possesed me)

 

 


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