Diane (1921)

Publié le par christophe bouquerel

 

Ulysse découvre au fil de ses recherches l'oeuvre de Paul Manship. On ne peut pas dire qu'elle soit d'une grande actualité puisque ce sculpteur américain est mort il y a presque un demi-siècle, en 1966. Pourtant elle lui raconte quelque chose d'immédiat.

Il rêve aussi à partir du peu qu’il découvre de la vie de Manship. Né en 1885 dans une petite ville du Minnesota, Saint-Paul, ce dernier atterrit à vingt ans, en 1905, dans une métropole en pleine expansion du nom de New York. Mais il n'y reste pas. Sur l'injonction de l'un de ses professeurs de sculpture, il passe le concours du Prix de Rome américain et le réussit en 1909. Ceci lui ouvre pour trois ans les portes de l'American Academy à Rome. Et voilà que ce jeune Américain, qui vient de la ville déjà la plus moderne du monde, et la plus fière de sa récente modernité, va faire un détour plus fécond encore qu’il ne le croit par le Vieux Continent. Ou plutôt par « les vieux Continents ». Car, en découvrant l'Italie, comme tant d'autres artistes avant lui, s’il se prend de passion pour l'Antiquité et pour les mythes, il ne s'arrête pas à l'époque classique; au contraire, il passe rapidement à la sculpture grecque archaïque,  puis à la sculpture étrusque. 3311602773_32b1ce6279.jpgEt son regard s'élargit encore, finissant par faire éclater le cadre étroit de la civilisation occidentale qu’on l’a envoyé étudier. Il se tourne vers la sculpture indienne, dont le rythme animera ses oeuvres ultérieures (la fluidité des mains de sa « Danseuse aux Gazelles »). On dit même qu’il entreprend plusieurs voyages à travers le temps au Moyen Orient, afin d’y nourrir sa curiosité toujours plus grande pour les arts et les mythes à l’origine des nôtres : ceux d’Egypte et ceux de Mésopotamie.

Rêvant sur le parcours de ce petit provincial américain, qui finit par ouvrir son regard à l’ensemble des civilisations, Ulysse lui trouve, sur cette photo (trouvée sur le site de museumplanet) où il apparaît en vieil homme, l'air à la fois pitoyable et hanté d'un Gérard de Nerval.  Mais, si le sculpteur américain se plaisait comme le poète français à respirer l’air plus vivifiant des mythes, en prenant le risque de traverser de ses mains les toiles d’araignée des choses mortes, il ne connut pas le même lamentable destin. Au contraire, il fut reconnu et célébré de son vivant.

Car, dès son retour aux Etats-Unis, toutes ces connaissances disparates d’amateur d’art qu'il avait accumulées pendant ces année de formation, il va savoir les assimiler et les synthétiser dans une œuvre créative. C'est la deuxième chose qu’Ulysse trouve passionnante dans cet itinéraire : la capacité à élaborer un art personnel, immédiatement reconnaissable, et qui unit de façon audacieuse l'archaïsme et la modernité dans une stylisation des formes annonçant les recherches les plus novatrices de l'art déco. Manship est dans le même mouvement à la fois très ancien et très moderne.


C'est quelque chose d’immédiatement sensible dans sa vision de « Diane » (1921).


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L'élan graphique des deux corps de la femme et du loup, le mouvement inversé de la course et du tir à l'arc, l’opposition entre les lignes horizontales du voile-chevelure ou des jambes, et celles verticales de l'arc ou de l'appui végétal. Ce qu’aime Ulysse dans l'art de cette époque, c’est que la courbe s’y fait aussi dynamique que la droite, et la droite aussi fluide que la courbe. Il se dit que seul un artiste des années 20 pouvait produire pareille vision du corps féminin en mouvement, impossible avant, impossible peut-être après (sinon dans la BD ?). En même temps, Manship lui raconte quelque chose d'ancien sur le mythe de la Chasseresse et l’érotisme sous-jacent de la déesse vierge qui, parcourant la forêt, fuit celui qui la surprend et le tue. C’est à dire sur l'une des deux postulations d'Artémis, celle développée par l'Occident (tandis que l'Orient explore dans la Maîtresse des arbres et des bêtes la vision contraire d’ Artémis, la rapprochant de Cybèle et de l'archétype de la déesse mère, comme le montrait l’étrange idole au buste ceint de fruits et de testicules de taureau qui se trouvait, si les souvenirs d’Ulysse sont exacts, dans le grand temple d'Ephèse, l’une des sept merveilles du monde antique). En exprimant une archaïque pulsion dans des termes plastiques modernes, Manship fait ici vraiment oeuvre d'artiste.

Devant cette « Diane » de 1921, Ulysse se dit  qu’il aimerait écrire ainsi (ou comme Hesse dans le début de Siddharta) : avec quatre-vingt dix ans de retard ou neuf mille ans.

 

 

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A
<br /> merci ; je serais ravie d'avoir votre visite : http://ad-mary44.over-blog.com<br /> <br /> sinon, il suffit de taper PASSION SCULPTURE et vous trouverez AD-Mary44 ; à bientôt<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Un article bien passionnant. Passionnée de sculpture, je ne connaissais pas ce sculpteur américain ; aussi, après avoir lu cet article, je vais effectuer des recherches. merci<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Merci. j'espère que vous partagerez vos découvertes. J'ai essayé de vous rendre votre visite mais le lien indiqué ne fonctionnait pas.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Elle est magnifique cette Diane chasseresse différente des corps plantureux dont étaient dotés les déesses antiques et c'est vrai que le fluidité des lignes sont superbes.Par contre c'est sûr à<br /> voir ses gestes on verrais plus une "pêcheresse" qu'une chasseresse!!!<br /> <br /> <br />
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