"Kiwi" de Daniel Danis

Publié le par christophe bouquerel

Né en 1962, Daniel Danis est un dramaturge québécois confirmé, auteur déjà de nombreuses pièces. Mais je le découvre par la lecture de celle-ci, « Kiwi », qui sera présentée au Théâtre 71 de Malakoff le 20 et 21 octobre prochain (Danis y animera aussi pendant cette période un stage pour amateurs).

(J'aime beaucoup cette photo, le geste des bras et le reflet opaque des lunettes. Je l'ai trouvée à l'adresse suivante http://media.voir.ca/pictures/47/47775_5.jpg mais je ne sais pas qui en est l'auteur. )


« Kiwi » est une pièce étrange : elle est composée d’une succession de brefs monologues de deux enfants des rues, qui se surnomment Kiwi et Litchi, parce que « porter un nom de fruit ou de légume, ça te change pas, mais ça te nettoie ».
Où vivent-ils ? Dans une ville jamais nommée, une ville imaginaire mais qui peut ressembler à plusieurs trop réelles, une ville où une police secrète élimine les marginaux et les rebelles avant l’organisation des Jeux Olympiques, une ville où des quartiers bombardés pendant la seconde guerre n’ont toujours pas été reconstruits, une ville dans laquelle errent des prédateurs riches se cachant sous des masques de Mickey. Une ville que le seul espoir consiste à fuir pour la campagne, l’improbable campagne où peut-être existent encore de vieilles maisons à acheter.
Que vivent-ils ? Un quotidien qui évoque celui des enfants de nombreux pays réels : survivre au froid et à la faim, voler, se prostituer.
Et pourtant, ce qui frappe à la lecture, c’est moins le sordide que la vitalité. Vitalité d’abord de la langue parlée par ces enfants, à la fois très simple et très poétique, ce que Kiwi appelle sa « langue bleue » :
    « Ma langue bleue dit aux  fleurs de pousser sous ce soleil électrique.
    Des fleurs vont grimper sur les murs, comme des gloires du matin, des racines vont rentrer dans le plancher pour me soulever jusque dans les nuages. Juchée sur mon arbre, assise sur une branche fleurie, je verrai mon oncle et ma tante nager dans leurs larmes pitoyables, à me crier : «arrête de grandir, maudite interdite ! »

Vitalité ensuite de ce petit groupe d’enfants abandonnés qui vont recueillir Kiwi et lui offrir une nouvelle « famille ». Or, ils ne font pas que survivre : ils réinventent la vie, ses douleurs mais aussi ses valeurs, ses usages. Jonathan Littel, à la fin des « Bienveillantes », lorsqu’il racontait la débâcle allemande sur les frontières marécageuses de la Pologne, faisait surgir des groupes d’enfants terrifiants, redevenus des meutes d’animaux sauvages plus imprévisibles et plus dangereuses encore que celles des adultes, et qui faisaient fuir jusqu’aux nazis. Nous avons tous aussi dans la tête les images des enfants soldats des guerres d’Afrique. Notre époque nous a déjà largement prouvé que les enfants étaient bien éloignés du « vert paradis » dans lequel nous les idéalisons. Mais Danis, lui, ne les cantonne pas à leur enfer : ils parviennent à en faire un purgatoire, plus solidaire et plus juste finalement que le monde des adultes civilisés.
Vitalité enfin de cette histoire menée jusqu’à son terme : au bout de leur voyage, Kiwi et Litchi ne devront-ils pas se débrouiller pour refonder, à tous les sens du terme, une famille ? Refondation symbolique du monde par les seuls qui peuvent le faire : ceux qui sont exclus du nôtre.

L’auteur viendra donc mettre en scène son spectacle en octobre à Malakoff (après le off d'Avignon en 2008). J’attends avec impatience de voir son travail. Le programme annonce un système de caméras infra-rouges qui éclaireront le visage des comédiens plongés presque dans l’obscurité, des images vidéo documentaires, d’autres fictives, de la musique électro-accoustique jouée sur scène. Ce que Danis appelle le « théâtre-film », le «dire-image ». J’imagine qu’il va nous entrainer loin du journal télévisé de vingt heures : comment utiliser l’image, lorsqu’il ne s’agit pas seulement de montrer le spectacle extérieur de la misère mais, de l’intérieur, les moyens que se donnent les humains pour y échapper ?
Bref, un spectacle qui promet d’être passionnant. Après Mouawad, Danis, pour nous confirmer que le théâtre du Québec sait nous parler du monde avec les mots et les images d’aujourd’hui. Espérons que le théâtre français fera de même cette saison…

La "bande-annonce" du spectacle
: http://compagniedanieldanis.blogspot.com/search/label/Kiwi
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article